Daniel Mueller on «Days in Night» and «Land Claim» (in French)
Text for the exhibition «Plein Nord», PhotoforumPasquArt, Bienne, 2014
PLEINE NORD
L’exposition «Plein Nord» s’articule autour de deux nouveaux projets qui prolongent la réflexion artistique de Thomas Kneubühler sur les questions liées à la lumière ainsi qu’au territoire, envisagé dans sa dimension politique. Ils mettent en valeur sa méthodologie qui vise à aborder les problématiques sur le long terme à travers de multiples aspects qui s’organisent ensuite par couches successives en créant des liens de sens. Cette démarche de chercheur privilégie par ailleurs l’étude dans des lieux retirés ou interdits, rendant ainsi visible des réalités qui échappent au public.
Ainsi pour le projet «Days in Night», Kneubühler s’est rendu à Alert, le lieu habité le plus au nord de la planète. Situé dans l’Arctique canadien à 800 km du pôle nord, Alert est une zone fermée qui abrite une station de surveillance radar de l’armée ainsi qu’une station météorologique. A cette latitude, la nuit polaire dure cinq mois et l’artiste explore cette particularité à travers des photographies de paysages aux accents surréels qui amorcent une réflexion sur la lumière et les effets de son absence. L’exposition comporte également une projection vidéo qui décline cette thématique: le spectateur est confronté à un écran noir d’où émergent insensiblement les contours d’un paysage, retranscrivant ainsi de manière subtile l’expérience de la naissance de la lumière.
Le second projet présenté par Kneubühler s’intitule «Land Claim» et aborde la problématique de l’exploitation minière dans les régions nord du Québec. L’artiste interroge la question controversée de la propriété du sol à travers la difficile cohabitation des sociétés minières avec les populations aborigènes qui revendiquent leurs droits sur leur territoire ancestral. Comment concilier une logique de profit économique avec le respect d’un mode de vie traditionnel?
Souterraine et mystérieuse pour le public, l’activité minière est liée à des lieux spécifiques qui sont souvent très retirés. Mais le commerce des produits miniers s’effectue quant à lui au niveau des marchés mondiaux par des courtiers dont les bureaux installés dans les capitales économiques sont très éloignés des gisements de matière première. Kneubühler met spectaculairement en évidence ce décalage en juxtaposant le paysage d’une mine à une vue de l’entrée sécurisée du bâtiment abritant la direction d’une compagnie minière. Il renforce par ailleurs ce rapport de tension au moyen d’une vidéo montrant l’immeuble de la multinationale Glencore/Xstrata à Zug tandis que l’on entend le directeur exécutif évoquer les modalités de la relocalisation possible d’une population aborigène.
Pour réaliser ce travail, Thomas Kneubühler s’est rendu à Raglan, une mine de l’Arctique accessible uniquement par avion. Dans ce milieu fermé, au milieu de nulle part, vivent et travaillent près de 800 personnes. Cette mine de nickel est propriété de la multinationale Glencore/Xstrata. L’artiste s’est également intéressé au projet de mine de fer à Aupaluk dans la région du Nunavik (nord du Québec). Il y aborde plus spécifiquement le statut du territoire inuit en regard des enjeux liés à l’extraction minière. Photographies et vidéo accentuent la tension entre un paysage préservé et les visées du développement économique.