Élène Tremblay on «Absence» (in French)
Text for the exhibition «Life in Real Time», L'Espace Vox, Montréal, 2001
MODE ACCÉlÉRÉ
Comme le fait remarquer l’artiste Thomas Kneubühler, rien ne distingue aujourd’hui, du moins en apparence, le concepteur multimédia, le secrétaire médicale et l’archiviste lorsqu’ils travaillent devant leur écran d’ordinateur. Nous sommes bien loin de cette époque, que nous ne regrettons pas d’ailleurs, où August Sander avait élaboré une typologie des métiers, photographiant le médecin, le boucher, le notaire et dont l’aspect était alors fort révélateur. L’homogénéisation du travail entamée avec la révolution industrielle s’est poursuivie à grands pas avec l’usage des nouvelles technologies.
Dans la série Absence de Thomas Kneubühler, nous rencontrons des visages absorbés dont le regard se perd hors du champ de l’image. Leur manque d’expression et de relation avec le photographe et le public irrite, comme s’ils se refusaient à nous, possédés par une obscure activité à laquelle nous ne sommes pas conviés. Sans signes distinctifs autres qu’une pose et une attitude similaires, les corps de ces jeunes travailleurs semblent vidés d’eux-mêmes, complètement avalés par leur activité professionnelle. Ce n’est qu’en étudiant un peu plus longuement ces images que nous comprenons que les regards sont rivés sur des écrans d’ordinateur lorsque nous entrevoyons, entres autres indices, une lueur bleutée se réflétant discrètement à la surface des pupilles et des verres de lunettes. Cet outil de travail qui est le leur, décuple la vitesse de leur action et fige les corps dans une apparente inactivité, une immobilité doublée par l’effet de l’image fixe. Le nombre de ces portraits et les poses quasi identiques dirigent l’attention sur le grand nombre de personnes qui, dans nos sociétés, travaillent à l’ordinateur et à la gestion d’informations.